mercredi 16 mai 2007

La vie la-bas

Un miroir de couleurs etincelle sous les rayons du soleil matinal. Chatoiement de vert, eclats de bleus, reflets turquoises et etincelles d`or tracent des courbes florales ou des angles de motifs geometriques sur plus de trente metres de haut. A droite, des biches blanches sont poursuivies par des lions, a la fourrure de tigre . Un soleil a visage humain aureole de ses multiples rayons le dos de ces fauves. A gauche, lui faisant face, s`impose les magnifiques decors geometriques du pitchak (portique) de l`enorme medersa construite par Ulug-Beg, petit-fils de Tamerlan. En face, les 75 metres de large de la façade de la medersa Tillia Kari, s`impose aux visiteurs et ferme l`espace de cette place mythique, le Reghistan de Samarcande.
Khiva et sa concentration de domes et minarets aux emaux turquoises nous avaient eblouis. Les forets de piliers sculptes des mosques et palais filtrant les rayons de soleil incitaient au repos de l`esprit. Boukhara la religieuse nous avait interpelle et ravis avec sa multitude de medersa et de mosques aux decors peints, sculptes ou de mosaiques divers. Le Reghistan nous a tout simplement soufflé. Il n`y avait plus de place aux superlatifs et aux envolees verbales tres chers a quelqu`un… La beaute et la grandeur du lieu force a la contemplation ebahie. Rajoutez a cela l`odeur de l`herbe fraichement coupee, les plantations de roses rouges sur la place adjcente et la tranquilite des alentours malgre la presence d`une large avenue proche et vous comprendrez le succes du Reghistan et plus largement la douceur de vivre de l`Ouzbekistan.
La visite des villes ouzbeques est un vrai plaisir. Les larges avenues, temoins omnipresents de la periode sovietique, permettent aux nombreux mini-bus collectifs (mashrut) et aux etroits taxis Daewoo de cohabitaient tranquillement, tandis que les pietons peuvent traverser sans risque sur de larges passages bien delimites. Parcs arbores et parsemes de bouquets de coquelicots, places aux plantations de roses, avenues bordees de ce qui ressemble fort a des platanes et beaux monuments plus ou moins restaures dessinent des villes ou la tentation de flaner est a chaque coin de rue. Et entre flaner et trainer, il n`y a qu`un pas que nous franchissons avec delectation un peu trop regulierement.
On pourrait presque ne pas remarquer les gens autour de nous. Ces femmes au visage marque, a qui on donnerait 60 ans, mais qui doivent en avoir 40, et qui arrachent et ramassent accroupies, avec une petite pelle, les mauvaises herbes de ces si agreables parcs. Ces hommes qui font la meme chose mais avec tous les detrituts rencontres dans la rue : bouteilles en plastiques balancees d`une vitre de voiture, ou emballage de glaces, ... Ces jeunes filles, a Boukhara, qui tentent de vendre ceramiques et susanes (broderie traditionnelle) en parlant toutes les langues du tourisme et en harcelant la moindre personne interessee, a l`en decourager. Ces grappes humaines et masculines qui attendent a certains endroits l`arrivee d`un employeur journalier qui fera son marche d`hommes experimentes ou a tout faire.
Mais surtout ces femmes, de tout age, qui prennent les 100 ou 200 sums (c`est-a-dire 0.06 ou 0.12 euros) des personnes allant aux toilettes, en echange de papier toilette et du nettoyage. Car les toilettes, qu`elles soient dans la rue ou dans les musees, sont payantes. Qu`il y ait de l`eau ou non, qu`elles soient propres ou rebuttantes, on paye. Et rien n`est plus irritant pour une francaise raleuse qui boit trop d`eau (potomane, n`est-ce pas ?) que de devoir payer pour des chiottes repugnantes.
Et c`est la que la betise humaine fait mal car bien evidemment, on finit par ouvrir les yeux. D`après une etude d`une ethnologue lue aujourd`hui, la plupart des foyers ouzbeques, avec deux salaires officiels (c`est-a-dire declares) n`ont pas de quoi se nourrir et se vetir correctement. Un salaire moyen est de 6 ou 7000 sums par jour je crois (ca fait moins de 5 euros, donc par mois, c`est maxi 150 euros), alors que le kilo de viande est a 3000 sums. Tous ont un boulot a cote de leur travail officiel. Les flics, comme les instits, gagnent 50 dollars. Du coup, la police est completement corrompue car ils rackettent des qu`ils peuvent. Quand ils travaillent a la frontiere, ils exigent un bakchich sur toutes les marchandises qui passent. Les ouzbeques craignent de se faire arreter sur la route car les policiers peuvent exiger des sommes assez fortes en echanges de leur liberte. Et de nombreuses boites a peine creees font faillite, les pots-de-vin et le prelevement de leur marchandise aux postes de controle ayant eu raison de leurs moyens. Les profs font souvent taxis ou ont d`autres activites après leur boulot.
On est alle mange chez un ouzbeque un soir a Boukhara, qui part tous les ans, de decembre a avril a Moscou pour travailler dans le batiment. Il parait que 30 % des ouzbeques partent ainsi cinq mois de l`annee pour faire le travail que ne veulent pas faire les russes. Cet homme dit n`etre paye que la moitie de ce que sont payes les russes, et s`insurge d`etre traite par les russes comme un chien. “Du tant de l`époque sovietique, on etait les egaux des russes, on etait paye le meme salaire et considere de la meme maniere”, nous a-t-il declare.
L`independence, en 1991, a totalement fait basculer l`economie ouzbeque et la grande majorite des gens ne s`y retrouvent plus. Le niveau de vie continue d`augmenter alors que les salaires stagnent. Les soins medicaux et beaucoup de ressources naturelles etaient pris en charge par le gouvernement russe et font partis actuellement des frais a la charge des foyers, sans aide de l`etat. “On a le coton, la soie, du gaz, du petrole et regardez comment on vit”, nous prend-il a temoin. “Le gouvernement est completement corrompu et l`argent ne va dans les poches que de quelques-uns. Les plus grands hotels des villes touristiques appartiennent a la fille du president.” La redistribution est un mot oublie du gouvernement.
Du coup, beaucoup se tournent vers l`islam et certains mouvements qui apportent un reconfort spirituel et une entraide dans les communautes. L`islam est modere en Ouzbekistan car le gouvernement se veut laique. Mais dans les campagnes les gens se sentent delaisser par l`etat et trouvent une aide dans des mouvements plus ou moins radicaux. Les jeunes dans certaines regions s`entrainent pour une lutte armee au nom de l`islam, sans etre spirituellement islamistes. Karimov qui lutte contre l`islamisme est en train de jeter l`ouzbekistan dans un islamisme de revolte, qui lui eclatera au visage.
En tant que touriste, on ne ressent absolument pas cet aspect des choses car on voit tres peu de femmes voilees et d`hommes avec turban. Les femmes semblent assez libre et dans les villes, les tenues peuvent etre tres legeres. Mais, des qu`on s`eloigne des villes et de l`influence russe, on se rend compte que la societe est tres traditionnelle et que son fonctionnement est regit par une repartition tres concrete des taches. La femme est generalement “l`esclave” dans la maison de sa belle-mere. Les mariages sont arranges pour la tres grande majorite des cas et le choix de la belle-fille depend de ses qualites menageres. Elle doit pouvoir faire le pain, cultiver le jardin, s`occuper des animaux (vaches en general), faire a manger pour tout le monde (parfois une dizaine de personnes), etc, tout en continuant parfois a travailler, si son mari le lui permet. Quand le deuxieme fils vient a se marier, les parents payent une maison au premier fils et sa femme, et c`est au tour de la nouvelle belle-fille de tenir la maison.
Nous avons ete invite par un jeune ouzbeque de 23 ans, Alicher, a manger et dormir chez lui un soir. Il est marie et a un bebe de 2 mois. On a debarque chez lui a minuit passé et on a ete accueilli par sa mere et sa belle-mere, une voisine. On nous a installe, servi a manger et a boire et Alicher nous a montre toutes les photos de son marriage. Il y avait une coupure d`electricite chez eux et on a echappe a la video du marriage… Il nous a presente a son bebe et a son frere et au bout d`un moment, ne voyant pas sa femme, j`ai demande si elle dormait. A sa reponse negative, je n`ai su que repondre et, voyant mon incomprehension, il a demande a son frere de la faire venir. Si je n`avais pas demande, nous ne l`aurions certainement pas vu car les femmes, sauf les belles-meres, n`ont pas le droit d`etre avec les invites. Elles ne sont la, en gros, que pour repondre aux besoins des hommes. Francoise, une anthropologue francaise, qui est reste en observation dans une famille ouzbeque pendant plusieurs semaines nous a dit que les femmes n`ont jamais le temps de manger attablees, car elles sont generalement derangees pour amener un verre, un plat, debarasser ou faire une tache dans la maison, sur la demande des hommes. Un allaitement peut etre arête et repris pour ces memes raisons. La femme ne semble avoir un statut que quand elle devient belle-mere, vers 40 ans. Et a cet age-la, elles sont souvent usees.

Aucun commentaire: